Comment utiliser les indicateurs de dose dans votre stratégie de radiovigilance en radiologie interventionnelle ?
Veille scientifique

Comment utiliser les indicateurs de dose dans votre stratégie de radiovigilance en radiologie interventionnelle ?

Écrit par Jérémy Coulot le 8 décembre 2020

La radiologie interventionnelle est une activité à risque radiologique déterministe. Evidemment, les sociétés savantes américaine (SIR) et européennes (CIRSE), ainsi que la Haute Autorité de Santé ont ainsi défini des référentiels destinés à vous aider à mettre en place une stratégie de radiovigilance efficace. Nous vous présentons ici quelques éléments pour comprendre les indicateurs de dose ainsi que les bases d’une stratégie de radiovigilance en radiologie interventionnelle. En guise de conclusion, nous vous proposons une check-list de mise en oeuvre à utiliser dans vos services.

Indicateurs de dose et dose 

La dose est une grandeur physique mesurable. C’est une quantité d’énergie déposée dans la matière par ionisation. Elle s’exprime en Gray. En imagerie, on parlera plus volontiers de milliGrays (mGy).

Malheureusement, la dose n’est pas facilement mesurable à la peau du patient (voir plus bas) et pas du tout mesurable dans le patient, sauf exception. Pour obtenir une estimation du risque radiologique, il faut donc passer par des indicateurs indirects : kerma, produit dose-surface, dose à la peau. On procède aussi à des calculs de reconstitution dosimétrique.

Les indicateurs en un coup d’oeil

Le tableau ci-dessous répertorie les indicateurs dosimétriques de référence en radiologie interventionnelle. Chaque indicateur est ainsi associé au seuil de suivi proposés ici ou ici et que retiens la HAS.

C’est une base de bonnes pratiques pour la mise en place de votre stratégie de vigilance en radiologie interventionnelle ! 

IndicateurAcronymeDéfinitionSeuil
Dose pic à la peau
(mGy)
Dose Pic à la Peau – DPP

(PSD Peak Skin Dose)
Dose la plus élevée en n’importe quel point de la peau d’un patient lors d’une intervention3000
Kerma au point de référence
(mGy)

Dose à l’entrée – De

(KAR Kerma in Air at Reference point)
Pour les arceaux isocentriques, point situé sur l’axe du faisceau, à 15 cm de l’isocentre.5000
Produit kerma-surface 
(Gy.cm2)
Produit Kerma Surface- PKS équivalent Produit Dose Surface PDS
(KAP- Kerma Area Product)
Dose intégrée sur l’ensemble du champ de rayons X. Représente la quantité totale d’énergie délivrée par le faisceau au patient500
Temps de scopie
(min)
Temps de Scopie
(FT- Fluoroscopy Time)
Temps total de radioscopie pour une intervention60

Les indicateurs en détail

Dans cette partie, je vous décrit ces indicateurs. Par souci de clarté, je pars de la source d’émission des rayons X vers le patient.

La dose

L’énergie émise sous forme de rayons X interagit avec la matière (air, tissus). Le kerma (Gy) représente l’énergie totale déposée dans la matière. Une partie de cette énergie est absorbée, l’autre est transmise. La dose (Gy) représente la partie absorbée par la matière. Elle doit donc être associée au milieu dans lequel elle est mesurée ou estimée. Aux énergies de rayons X de la radiologie, le kerma dans l’air et la dose dans l’air sont considérés comme équivalents.

Le Produit kerma-surface

Le Produit kerma-surface dans l’air (ou produit dose-surface) représente l’énergie cumulée sur l’ensemble du champ. C’est donc la quantité d’énergie totale délivrée par le faisceau (Gy.cm2) ;

Le kerma dans l’air au point de référence

Selon L’International Electrotechnic Commission (IEC), le point de référence est défini à 15 cm en avant de l’isocentre sur l’axe du faisceau. Cette position correspond en général à peu prés à la position du point d’entrée dans le patient. Cet indicateur peut servir à réaliser une estimation dosimétrique de première intention de la dose à la peau. Pour cela, il faut utiliser un facteur de pondération. Les facteurs sont tabulés en fonction de l’énergie, de la filtration et de la taille du faisceau.

La dose pic à la peau

Exprimée en mGy, elle permet de quantifier l’énergie maximale déposée en un point du(des) champ(s) utilisé(s) lors de l’intervention. Cet indicateur est ainsi de loin le plus robuste car il permet d’accéder à une dose au tissu. Cependant, il est très difficile à mesurer. C’est possible néanmoins en utilisant des films radiochromiques. Le plus souvent on l’estime par le calcul a posteriori.

Radiobiologie

Les seuils de bonnes pratiques de radioprotection (y compris de dose pic à la peau de 3000 mGy) sont des seuils empiriques. Ils permettent ainsi de gérer de manière raisonnable le risque radiologique. Il est important de note que ces effets déterministes cutanés ne sont pas attendus dans la population moyenne pour des doses à la peau inférieures à 6000 mGy. Cependant, cela peut s’avérer faux pour des patients avec des facteurs biologiques associés à une plus grande radio-sensibilité.

Bonnes pratiques de radiovigilance en radiologie interventionnelle

Les recommandations qui suivent s’inspirent des propositions de la HAS ainsi que de notre expérience à vos côtés !

Tracer les indicateurs à la peau

Avant tout, les bonnes pratiques recommandent de tracer au moins un de ces indicateurs pour chaque intervention et d’adapter le suivi des patients dès que l’un d’entre eux est dépassé. Par ailleurs lorsque le contexte clinique le permet il est recommandé d’espacer les interventions utilisants les rayonnements de 60 jours.

Ces données sont évidemment à mettre en perspective avec les effets déterministes radio-induits.

En radiologie interventionelle, le risque se situe au niveau de la peau. La dose pic à la peau est donc l’indicateur dosimétrique le plus robuste. Les autres (Kerma au point de référence, Produit kerma-surface et temps de scopie) ne sont pas directement (et de manière non linéaire) corrélés à la dose à la peau. Ils peuvent néanmoins être utiles lorsque la DPP n’est pas accessible et, par exemple servir de repère pour les médecins.

Organiser votre dosimétrie

Lorsque les valeurs seuils sont atteintes il est ainsi recommandé de réaliser un calcul de la dose à la peau. Rares il y a quelques années, les outils sont aujourd’hui nombreux. De plus, ils sont souvent intégrés à des DACS. Citons RDM ou Dosewatch pour les plus connus, mais aussi le Dose Tracking System proposé par Canon. Une comparaison complète des logiciels de calculs de dose peau a ainsi été publiée récemment. Chez esprimed nous utilisons désormais VirtualDose.

Le calcul dosimétrique est probablement plus facile à mettre en oeuvre que la mesure par film. Le plus important reste cependant de disposer de la dose. Elle permet en effet de se comparer aux valeurs seuils d’apparition d’effets déterministe.

En comparant la dose calculée aux seuils de suivi, vous pourrez ainsi estimer le risque radiologique et adapter le suivi des patients. C’est donc une étape indispensable dans le cadre de votre stratégie de radiovigilance en radiologie interventionnelle.

Connaître les ordres de grandeur

Les ordres de grandeurs des seuils d’apparition des effets déterministes sont donnés sous forme de gamme de dose dans le tableau suivant, d’aprés l’article de Stecker et al.

Dose seuil à la peau [mGy]

Effet à court terme (moins de 2 semaines)Effet à court terme (2 à 8 semaines)Effet à moyen terme (6 à 52 semaines)Effet à long terme (plus de 40 semaines)
0-2000


2000-5000Erythème transitoireAlopécieRécupération de la perte de cheveuxAucun
5000-10000Erythème transitoireErythème, AlopécieRécupératin, Erythème prolongéRécupération, Atrophie cutanée
10000-15000Erythème transitoireErythème, alopécie, desquamationErythème prolongé, alopécie permanenteAtrophie, fragilité cutanées, Télangiectasie
> 15000Erythème transitoireErythème, alopécie, desquamation humideAtrophie cutanée,  ulcération secondaire, nécrose cutanéeAtrophie, fragilté cutanées, possible dégradation de la peau, possible extension de la plaie en profondeur

Ce Ce

Ce tableau est donné pour des expositions uniques. On sait par exemple que la peau du cuir chevelu est généralement plus résistante aux développements de dommages cutanés radio-induits. On rappelle aussi que les follicules pileux du cuir chevelu sont plus radio-sensibles que sur les autres parties du corps. Rien n’est donc simple… Enfin, rappelons que ces seuils sont définis pour des conditions d’exposition (champs carrés, etc.). Ils doivent donc être compris comme des ordres de grandeur.

Quantifier vos pratiques

La radiovigilance en radiologie interventionnelle accompagne la démarche d’optimisation. Pour correctement piloter sa démarche de radio vigilance il faut donc aussi repérer les déviations de pratiques (c’est-à-dire les situations où l’on utilise plus de rayonnements que d’habitude). La stratégie qui s’est ainsi imposée ces dernières années est de définir des niveaux de référence locaux (NRL) en complément des Niveaux de Référence Diagnostiques. En effet, ces derniers proposent désormais des valeurs pour 12 actes de radiologie interventionnelle. La Société Française de Physique Médicale a aussi publié un rapport en 2017 proposant des valeurs de référence.

La stratégie la plus efficace consiste par conséquent à établir une photographie des doses délivrées puis de se comparer aux NRD et NRL disponibles. Après la phase d’optimisation on peut ensuite mettre en place des seuils de radiovigilance. Ils permettent ainsi de repérer facilement des déviations dans les pratiques quotidiennes.

Conclusion

La radiologie interventionnelle est une pratique toujours plus innovante. Rappelons-le, elle est sûre dans la grande majorité des cas ! Il existe cependant quelques risques spécifiques. Ils sont maîtrisables si on comprend et si on utilise les bons indicateurs et la bonne stratégie de vigilance. C’est (entre autre) à cela que sert la physique médicale !

La checklist de mise en place d’une stratégie de radiovigilance en radiologie interventionnelle

En conclusion, je vous propose donc ci-dessous une checliskt pour initier votre stratégie. Évidemment, n’hésitez pas à l’adapter à vos pratiques !

  1. Définir les indicateurs pertinents pour votre pratique (à réévaluer notamment en fonction de l’évolution de votre parc matériel)
  2. Établir et mettre à jour des valeurs de références de bonnes pratiques (Niveaux de Référence Locaux)
  3. Comparer regulièrement ces NRLs aux données de référence nationales ou internationales (Niveaux de Référence Diagnostiques par exemple)
  4. Construire des seuils de vigilance à partir de ces NRL et des seuils d’apparition d’effets indésirable
  5. Mettre en place une stratégie de suivi des patients adaptée au risque identifié et l’intégrer à votre démarche qualité

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